Académie de Montauban
Sciences, Arts, Belles Lettres, Encouragement au bien
" Contes populaires " est le titre sous lequel la Société des Etudes locales dans l’Enseignement public, du groupe de Tarn-et-Garonne, a fait paraître deux séries de contes, à l’initiative d’Antonin Perbosc.
Il faut préciser que le « Père de l’Occitan », ainsi qu’il a été surnommé, a fait plus que s’intéresser à l’idiome local. Il a été au départ d’un travail de collectage à Comberouger d’autant plus important que ses associés étaient ses élèves qu’il avait constitués en Société traditionniste, la première du genre et qui « fut accueillie avec une vive curiosité et sans doute un certain étonnement par le Congrès des traditions populaires tenu à Paris en 1900 », nous dit-il.
Cette œuvre « purement folklorique » a le mérite d’avoir « noté avec une égale fidélité » le « langage ancestral ».
On leur doit par conséquent la première série des Contes de la vallée du Lambon (1914), traduits par Perbosc. La deuxième série s’intitule Contes de la vallée de la Bonnette (1924), recueillis par les élèves des écoles de Loze sous la direction de Jean Hinard et traduits également par Antonin Perbosc.
Mimologismes populaires
Règles de lecture : pour prononcer [ o ] on écrit « ò » ;
le « o » se prononce comme [ ou ] en français ;
le « e » comme un [ é ] et le « v » comme un [ b ] ;
le « nh » comme [ gn ] et le « lh » comme « lieu » ;
le « u » reste comme [ u ] et le « a » en finale devient [ o ] faible ;
les « n » et « r »en finale sont quasi-muets.
Autres còps, -dabans que se sounèsse l’angèlus,- lo Drac se metiá en fòrma de bèstia, quora un cat, quora una cavala, quora un moton, que l’òm trobava pels caminses.
Un jorn, i aviá vint e dos dròlles qu’anavon al cataquirme. Aquí qu’al cap d’un prat trobèron una polida cavaleta aimabla e domèja que qual sap, talament qu’un diguèt :
- I cal montar sus l’esquina.
E i montèt. Aprèp aquel un autre, apuèi un autre…
L’esquina de la cavala s’estirèt tant e tant que vint e un i montèron.
Lo darrièr diguèt, en levant la camba :
- Quand mon paire monta a chaval, se senha.
E en diguent aquò, se senhèt.
La cavalassa anava cap al riu, per i negar totes aquelses paures mainatges ;
mès al signe de la crotz s’avaliguèt, en diguent :
Se nomine patris non fos, Ne negavi vint e dos.
Le Drac
Autrefois, -au temps où l’on ne sonnait pas encore l’angélus,- le Drac prenait la forme de diverses bêtes, tantôt un chat, tantôt une jument, tantôt un mouton, que l’on rencontrait sur les chemins.
Un jour, il y avait vingt-deux enfants qui allaient au catéchisme. Voilà qu’au bout d’un pré ils trouvèrent une jolie petite jument d’une amabilité et d’une douceur étonnantes, si bien que l’un des enfants dit :
- Il faut lui monter sur l’échine.
Et il y monta. Après celui-là un autre, puis un autre…
L’échine de la jument s’étira tant et tant que vingt et un y montèrent.
Le dernier dit, en levant la jambe :
- Quand mon père monte à cheval, il fait le signe de la croix.
Et, en disant cela, il se signa.
La grande jument allait vers le ruisseau, pour y noyer tous ces pauvres enfants ;
mais au signe de la croix elle disparut, en disant :
Si nomine patris ne fût, J’en noyais vingt-deux.
(Recueilli à Loze, vers 1900, par Jean-Léon Pouxviel, né en 1889)
Monhet
Atchí que le mèste vic Monhet que li panaua de hauas.
Anguèc au hauar en de le ne tirar : Monhet se’n volèc pas anar.
« A ! Monhet, te’n vòs pas anar ! vau quèrre le can, que te morderà. »
Atchí que le can volèc pas mòrdre Monhet.
« A ! can, vòs pas mòrdre Monhet ! vau quèrre le lop, que t’escanarà. »
Atchí que le lop volèc pas escanar le can.
« A ! lop, vòs pas escanar le can ! vau quèrre la barra, que t’atucarà. »
Atchí que la barra volèc pas atucar le lop.
« A ! barra, vòs pas atucar le lop ! vau quèrre le hòc, que te flambarà. »
Atchí que le hòc volèc pas flambar la barra.
« A ! hòc, vòs pas flambar la barra ! vau quèrre l’aiga, que t’escantirà. »
Atchí que l’aiga volèc pas escantir le hòc.
« A ! aïga, vòs pas escantir le hòc ! vau quèrre les buòus, que te beuràn. »
Atchí que les buòus volègan pas beue l’aiga.
« A ! buòus, volètz pas beue l’aiga ! vau quèrre las julhas, que vos julharàn. »
Atchí que las julhas volègan pas julhar les buòus.
« A ! julhas, volètz pas julhar les buòus ! vau quèrre les rats, que vos rosigaràn. »
Atchí que les rats volègan pas rosigar las julhas.
« A ! rats, volètz pas rosigar las julhas ! vau quèrre les gats, que vos minjaràn. »
Atchí que les gats volègan minjar les rats. Alavetz, les rats volègan rosigar las julhas ; las julhas volègan julhar les buòus ; les buòus volègan beue l’aiga ; l’aiga volèc escantir le hòc ; le hòc volèc flambar la barra ; la barra volèc atucar le lop ; le lop volèc escanar le can ; le can volèc mòrdre Monhet, e Monhet volèc se n’anar dòu hauar.
Mès, a la fin de tot aqueth rambalh, Monhet auèc le sac plen.
Mougnet
Voilà que le maître vit Mougnet qui lui volait des fèves.
Il alla au champ de fèves pour l’en chasser : Mougnet ne voulut pas s’en aller.
« Ah ! Mougnet, tu ne veux pas t’en aller ! je vais aller chercher le chien, qui te mordra. »
Voilà que le chien ne voulut pas mordre Mougnet.
« Ah ! chien, tu ne veux pas mordre Mougnet ! je vais aller chercher le loup, qui t’étranglera. »
Voilà que le loup ne voulut pas étrangler le chien.
« Ah ! loup, tu ne veux pas étrangler le chien ! je vais aller chercher le bâton, qui t’assommera. »
Voilà que le bâton ne voulut pas assommer le loup.
« Ah ! bâton, tu ne veux pas assommer le loup ! je vais chercher le feu, qui te brûlera. »
Voilà que le feu ne voulut pas brûler le bâton.
« Ah ! feu, tu ne veux pas brûler le bâton ! je vais chercher l’eau, qui t’éteindra. »
Voilà que l’eau ne voulut pas éteindre le feu.
« Ah ! eau, tu ne veux pas éteindre le feu ! je vais chercher les bœufs, qui boiront. »
Voilà que les bœufs ne voulurent pas boire l’eau.
« Ah ! bœufs, vous ne voulez pas boire l’eau ! je vais chercher les liens, qui vous lieront. »
Voilà que les liens ne voulurent pas lier les bœufs.
« Ah ! liens, vous ne voulez pas lier les bœufs ! je vais chercher les rats qui vous rongeront. »
Voilà que les rats ne voulurent pas ronger les liens.
« Ah ! rats, vous ne voulez pas ronger les liens ! je vais chercher les chats qui vous mangeront. »
Voilà que les chats voulurent manger les rats.
Alors, les rats voulurent ronger les liens ; les liens voulurent lier les bœufs ; les bœufs voulurent boire l’eau ; l’eau voulut éteindre le feu ; le feu voulut brûler le bâton ; le bâton voulut assommer le loup ; le loup voulut étrangler le chien ; le chien voulut mordre Mougnet, et Mougnet voulut s’en aller du champ de fèves.
Mais, à la fin de tous ces débats, Mougnet eut le sac plein.
(Recueilli par Laure Artigaud, écolière de Comberouger, née en 1889)
Note : ce conte est une randonnée, définie ainsi par Perbosc :
« Appelées par les enfants contes en escaleta (contes en petite échelle), elles se composent d’une montada et d’une davalada… La montada est un récit énumératif exposant des faits graves, surprenants, dont chaque phrase, dite sur le même ton, le tient sous son charme tant que dure la montée ; après un temps d’arrêt, c’est la davalada qui se dit très vite, où chaque phrase est une réplique à l’une des phrases de la montée et qui se termine par une conclusion le plus souvent comique. »
Le tambourineur et les loups
Il y avait, une fois, un tambourineur de Larrazet qui s’en allait battre du tambour à la fête votive de Beaupuy.
Un soir, en s’en revenant par un sentier, quand il fut au milieu du bois de Grandselve, il vit deux loups qui le suivaient. Il avait tellement peur qu’il tremblait comme un jonc, et il prenait bien garde de tomber, car il savait que les loups l’auraient dévoré.
Une branche qui traversait le sentier vint à toucher le tambour. Les loups s’arrêtèrent sur-le-champ.
« Qu’est-ce que c’est ? dit le tambourineur, vous avez peur, peut-être ? »
Il prit les baguettes du tambour et se mit à jouer la « courante ».
Les loups se lancèrent de toute leur vitesse à travers le bois.
« Ah ! ce n’est que cela qu’il vous fallait ! dit l’homme. Attendez, vous allez entendre une sérénade qui se portera bien ! J’ai trouvé un bon remède : maintenant, je ne crains plus la fascination du loup. »
Et, à partir de ce jour, chaque fois que le tambourineur passait par le bois de Grandselve,
il jouait régulièrement la « courante ».
Plus jamais, il ne vit aucun loup.
(Recueilli à Comberouger, en 1902, par Gaston Labernade, Jean-Marie Soulié et Antonin Laborderie, nés respectivement en 1887, 1888 et 1895)